Patrice Lumumba : une biographie
Politique

Par Sandro CAPO CHICHI 17 janvier 2016
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Biographie d’un des plus fameux martyrs de la cause africaine, le Congolais Patrice Lumumba.
Par Sandro CAPO CHICHI / nofi.fr
Origines et jeunesse
Lumumba naît vers le 2 juillet 1925 dans le village d’Onalua dans la province du Kasaï de la colonie du Congo-Belge (actuelle République Démocratique du Congo). Son nom de naissance est Isaie Tasumbu Tawosa. Il est le deuxième des quatre fils de François Tolenga, un paysan chrétien et de Juliana Amatu, tous deux d’ethnie tetela. Les BaTetela sont une ethnie qui s’est distinguée dans la résistance à la colonisation belge entre 1895 et 1908. Durant la jeunesse de Lumumba, et jusqu’aux années 1950, les villageois étaient forcés à collecter du caoutchouc dans des conditions atroces. Très tôt, il est surnommé ‘Lumumba’, qui signifie ‘équipe’ ou ‘foule’. Les contemporains décrivent Lumumba comme un jeune charismatique et déterminé, n’hésitant pas à confronter les colons. Il reçoit une éducation rudimentaire dans une école missionnaire catholique, puis une école protestante. Il quitte celle-ci en août 1941. Il aurait été exclu de celle-ci pour avoir corrigé son professeur en public. Voulant s’inscrire dans une école d’infirmiers à Tunda, il en est rapidement exclu. Un ancien professeur l’a en effet dénoncé. En 1942, il quitte Onalua. Au terme d’un long périple, il arrive dans la métropole de Stanleyville (actuelle Kisangani) en 1942.
De provincial à ‘évolué’
A son arrivée à Stanleyville en 1944, Lumumba s’installe chez Paul Kimbulu et sa famille. Il y est traité comme un enfant de la famille. A son arrivée, il travaille comme employé à la Poste. En parallèle, il se cultive et apprend le français de manière autodidacte. Il y parvient notamment en fréquentant assidument des bibliothèques. A Stanleyville, Lumumba prend un autre prénom, celui d’Emery. C’est aussi à cette époque qu’il a ses plus importantes relations sentimentales. Il se mariera à trois reprises, aura deux amantes et cinq enfants entre 1945 et 1951. La femme la plus importante de sa vie est probablement sa dernière épouse, Pauline Opango avec qui il a quatre enfants. Entre temps, en 1947, il se rend à Léopoldville, la capitale de la colonie. En tant qu’employé de la poste, il a obtenu d’y étudier à l’Ecole Postale. Après neuf mois, il obtient une promotion en tant qu’employé à la Poste. Lumumba, en tant que Congolais vivant à l’occidentale, disposait du statut d’évolué. A partir de 1950, Lumumba commence à écrire des articles dans des journaux congolais et belges, particulièrement au sujet des évolués et de leur situation dans la société coloniale. Il est à l’époque admiratif du modèle civilisationnel belge. Toutefois, progressivement, il critique la discrimination imposée par les colons sur les ‘évolués’. Lumumba s’impose comme une personnalité d’influence parmi les ‘évolués’ de Stanleyville. En 1954, il est élu Président de la plus prestigieuse association congolaise de la ville, l’Association des Evolués de Stanleyville, après avoir été nommé à la tête de nombreuses autres associations d’évolués de la métropole coloniale. Cette position prestigieuse lui permet de rencontrer le roi Baudoin 1er de Belgique lors de sa visite à Stanleyville en juin 1955.
Premiers conflits avec le pouvoir colonial
A la tête de l’Association des Evolués de Stanleyville, Lumumba se constitue un impressionnant carnet d’adresses impliquant des personnalités politiques du Congo et de Belgique. Il va toutefois entrer en conflit avec les autorités coloniales. Il refuse en effet d’apporter son soutien à l’Eglise Catholique qui veut interdire la création d’écoles publiques à Stanleyville. Cette décision va grandement endommager sa popularité. En Février 1956, il perd les élections pour la présidence de l’Association des Evolués de Stanleyville. En juillet de la même année, il est arrêté et emprisonné pour abus de confiance. Employé à La Poste, il avait en effet détourné de l’argent des caisses de son employeur, sommes qu’il parvenait à rembourser peu après. Après son accession à la tête des évolués de Stanleyville, son niveau de vie avait considérablement augmenté en raison de ses obligations et de ses fréquentations. Il ne pouvait dès lors plus rembourser ses ’emprunts’ et fut emprisonné jusqu’en septembre 1957. Durant cette période, il commence à dénoncer par écrit les méfaits de la colonisation. Après avoir demandé à être transféré à Léopoldville pour être plus proche de son avocat, il est libéré dans cette ville à condition de trouver du travail.
D’évolué à militant pour l’indépendance et au panafricanisme
A sa sortie de prison, Lumumba est recruté par l’importante société de bière Bracongo dont il obtient progressivement de devenir directeur commercial. A Leopoldville (future Kinshasa), Lumumba découvre une ville plus cosmopolite et politisée . Il y apprend rapidement le lingala, la langue de communication de la ville. Il rencontre à Léopoldville Joseph Ileo et Joseph-Désiré Mobutu, deux personnes qui auront un grand impact sur le reste de sa vie. Ileo est un célèbre évolué de la ville, à l’origine de la création du Mouvement National Congolais, un mouvement indépendantiste dont Lumumba va grimper les échelons, en devenant le président en octobre 1958 et par la même occasion la voix de l’élite indépendantiste congolaise. Cet engagement politique allait le contraindre à renoncer à son poste chez Bracongo. Entre temps, en avril de cette année, Lumumba avait été invité par Kwame Nkrumah lors de la première Conférence Africaine des Etats Africains Indépendants. Cette rencontre allait orienter la pensée de Lumumba vers le Panafricanisme.
Vers l’indépendance
Le 4 janvier 1959 ont lieu à Léopoldville d’importantes émeutes anti-coloniales. Ces émeutes, qui mobilisent à la fois des Congolais évolués et non-occidentalisés sont sanctionnées par des centaines de morts parmi les manifestants. Initialement, le MNC avait à la fois condamné les émeutes et la répression sanglante leur ayant fait suite. Cette position du MNC lui avait fait gagner en importance, rassemblant des dizaines de milliers d’adhérents. En effet, les autres partis congolais soutenant les émeutes s’étaient vus interdire.Lumumba et le MNC allaient toutefois se radicaliser. Fin mars 1959, Lumumba allait demander à la Belgique de décider d’une date pour l’indépendance. En avril de cette année, Lumumba fait deux voyages importants pour son idéologie politique. Il se rendit d’abord dans la Guinée de Sékou Touré, puis en Belgique. Ces deux séjours le rapprochent de l’idéologie communiste. Il retourne ensuite à Stanleyville d’où il dirige le MNC. Celui-ci allait toutefois se scinder en deux factions rivales: l’une dirigée par Lumumba à Stanleyville, l’autre par son ancien ami Joseph Ileo à Elisabethville (actuelle Lubumbashi). Lumumba allait toutefois conserver sa popularité auprès du peuple. En comprenant que la Belgique ne céderait pas l’indépendance aux Congolais, Lumumba allait encore radicaliser son discours et revendiquer une lutte des Congolais. Le 1er Novembre 1959, après une émeute anti-coloniale à Stanleyville ayant fait douze morts quelque jours auparavant, Lumumba est arrêté et emprisonné trois mois pour avoir incité à celle-ci. Quelques jours après sa sortie, la Belgique cède à la pression populaire congolaise. L’indépendance du Congo est décidée pour le 30 juin 1960.
L’indépendance
L’indépendance du Congo a finalement été acceptée par la Belgique. Toutefois, cette concession a été faite à contre-coeur. La puissqance coloniale européenne va tout faire pour continuer à contrôler son ancienne colonie. L’un des pions des Belges est Moïse Tshombe, le Président de la Confédération des Associations Tribales du Katanga, la région la plus riche du Congo et contribue à près de 60% de la richesse de la colonie. Tshombe milite pour une autonomie du Katanga, dont les richesses ne devraient bénéficier qu’à cet état lors de l’indépendance. Lumumba, en revanche voit un Congo unitaire et centralisé autour d’une capitale basée à Léopoldville. Les Belges financent également d’autres partis rivaux du MNC de Lumumba. Celui remporte toutefois la majorité des sièges, 33 sur 137, offrant à Lumumba le poste le plus important du gouvernement, celui de Premier Ministre. Ce gouvernement est toutefois un gouvernement de coalition et des postes du gouvernement sont attribués à des représentations de partis rivaux, comme le poste de Président de la République, attribué à Joseph Kasa Vubu du parti de l’ABAKO (Association de Bakongo, un parti à l’origine centré autour de l’ethnie Kongo). Ces manoeuvres du gouvernement belge ne s’arrêtaient toutefois pas à la politique. Après une table ronde organisée à Bruxelles peu au moment de sa libération, où Lumumba avait ridiculisé les officiels belges présents et affirmé la nécessité d’un Congo libre sans interventionnisme colonial, le gouvernement belge avait prévu son assassinat. Cette décision allait être accélérée le jour de l’indépendance du Congo, le 30 juin 1960. Le roi Baudoin de Belgique s’était déplacé pour l’occasion. Il y tient un discours louant la colonisation belge et justifiant ses crimes, présentant l’indépendance du Congo comme un de ses cadeaux et attendant une réponse soumise des représentants du gouvernement congolais. Lumumba y répond avec un discours dénonçant de manière virulente le colonialisme et ses crimes, et présentant l’indépendance comme le résultat d’un combat. Lumumba acclamé par la foule, le roi des Belges menaça de quitter les lieux, humilié. Ce discours accroît la popularité de Lumumba dans son pays et à l’étranger. Malcolm X le décrit à l’occasion comme le plus grand homme noir ayant foulé le sol africain.
La fin
Lumumba remplace la ‘Force Publique’ police coloniale et son responsable, un Belge par l’armée nationale congolaise et un Congolais après que des soldats congolais effectuent une mutinerie. Cette décision, à l’encontre de la volonté des colons belges, allait voir l’émergence d’un ancien soldat et protégé deLumumba à la tête de l’armée. Joseph-Désiré Mobutu était un informateur des Etats-Unis et de la CIA depuis plusieurs années et allait jouer un rôle déterminant de la chute de celui qui l’avait mené au pouvoir. Entre temps, le sud-Kasaï de l’ancien membre du MNC Albert Kalonji et le Katanga de Moïse Tshombe avaient annoncé leur sécession, avec le soutien de la France, du Royaume-Uni et de la Belgique. Ce dernier soutien était motivé par les intérêts financiers de la Belgique, alors en crise financière, dans le Katanga.Lumumba fait appel aux troupes de l’ONU pour intervenir au Katanga et empêcher sa sécession. Malgré leur déplacement, les troupes de l’ONU n’interviennent pas militairement. Le Premier Ministre congolais décide alors de faire appel aux Etats Africains, dont le soutien se révèle malheureusement de peu d’impact et aux Etats-Unis,. Ceux-ci, en pleine guerre froide face au bloc soviétique, refusent de soutenir Lumumba, voyant en lui un communiste. Devant la restriction de ses potentiels alliés, Lumumba se tourne vers l’Union soviétique pour l’aider à établir son autorité dans les régions minières sécessionistes du Kasaï et du Katanga. Ce soutien soviétique allait isoler Lumumba de deux de ses anciens alliés, Kasa Vubu, et Mobutu, ce dernier en raison de sa collaboration avec les Etats-Unis. Devant l’arrivée de troupes soviétiques aux Etats-Unis, ces derniers décident de mettre en place un coup d’état au Congo. Les Etats-Unis étaient en effet depuis longtemps des acheteurs de l’uranium belge. Cet uranium que les Belges se procuraient au Congo. Kasa Vubu essaie de démettre Lumumba de ses fonctions le 5 septembre 1960. Lumumba chercha à s’opposer à cette décision auprès du parlement. Mobutu profite de la situation et effectua un coup d’état.Lumumba, toujours devant l’indifférence de l’ONU, est désormais acculé. Le 27 novembre, il essaie de fuir à Stanleyville et y rejoindre un gouvernement en exil qui s’y forme. Avec sa femme et son fils aîné Roland, il est intercepté par des soldats du Katanga qui le battent et le transfèrent à Elisabethville. Le 17 janvier 1961, il est envoyé à Elisabethville avec ses deux compagnons Mpolo et Okito. Après leur passage à tabac et leur torture par des forces belges et katangaises, les trois martyrs sont exécutés à l’arme à feu et leurs corps dilués dans de l’acide. La disparition du corps de ce héros de l’indépendance de l’Afrique, si elle tuait temporairement l’espoir d’un Congo maître de ses richesses et de son destin, allait laisser à ce pays et à toute l’Afrique la figure paternelle d’un homme dont le courage a vu ronger sa chair par la cupidité des colons et de ses compatriotes mais dont l’esprit vivra à jamais.
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