Avec Straw, nouveau succès Netflix, Tyler Perry relance le débat sur sa manière de représenter les femmes noires à l’écran. Hommage sincère ou enfermement narratif ? Nofi ouvre le débat.
À peine mis en ligne, le film Straw, écrit, produit et réalisé par Tyler Perry, s’impose numéro un sur Netflix. Porté par Taraji P. Henson, le drame met en scène une mère noire précarisée, acculée par la misère, qui tente de faire valoir ses droits dans un monde indifférent à sa détresse. Une fiction ? Pour beaucoup, un miroir du réel. Et pour d’autres, une ritournelle trop familière.
Sur les réseaux sociaux, les critiques se répètent : « Encore une femme noire qui souffre », « Encore une misère instrumentalisée ». Le cinéma de Perry dérange, émeut, divise. Et ce, depuis deux décennies.
Loin de fuir la critique, Tyler Perry assume : « Oui, mes films parlent des luttes des femmes noires. Parce que je les ai vues. Parce qu’elles m’ont élevé », déclarait-il récemment à True Love Magazine. Sa mère, Maxine, en est l’incarnation. Battue, résiliente, sacrifiée : elle est le cœur battant de sa filmographie. Son autobiographie filmée, Maxine’s Baby, est un manifeste de cette mémoire familiale douloureuse.
Mais cet ancrage personnel suffit-il à justifier la répétition ? Perry parle souvent d’hommage. Ses détracteurs dénoncent, eux, une forme de voyeurisme social et émotionnel.
Si le film Straw divise, la performance de Taraji P. Henson fait l’unanimité. Brute, sans maquillage, la comédienne livre une interprétation viscérale. Chaque tremblement, chaque cri, chaque silence raconte non seulement l’histoire de son personnage, mais celle de tant d’autres.
Elle retrouve ici un registre qu’elle avait exploré dans Acrimony ou I Can Do Bad All By Myself — deux autres collaborations avec Perry ; où elle incarnait déjà des femmes brisées, trahies, épuisées.
Mais cette fois, le rôle semble plus dense, plus enraciné dans une réalité sociale glaçante : précarité, santé, monoparentalité, violence institutionnelle. L’Amérique des marges.
Ce que ses critiques reprochent à Tyler Perry, ce n’est pas de raconter la souffrance. C’est de ne raconter que ce type de souffrance. Des femmes noires trahies, battues, abandonnées, humiliées, systématiquement en combat contre un monde hostile, souvent sans happy end réel.
Sur X (ex-Twitter), une internaute résumait :
« Tyler Perry adore faire pleurer les femmes noires pour le divertissement. »
D’autres, plus nuancés, demandent :
« Où sont les récits de femmes noires aimées, épanouies, ambitieuses, puissantes sans drame ? »
Le problème, selon certains analystes, ne serait pas tant ce que Perry montre, mais ce qu’il ne montre jamais.
Paradoxalement, les films de Tyler Perry fonctionnent. Et massivement. Ils trouvent un écho puissant chez un large public noir américain et diasporique. Une spectatrice écrit :
« Je suis une femme noire. J’ai souffert. Merci Tyler Perry de raconter cette part de moi. »
Dans cette fidélité réside une vérité : l’Amérique noire vit encore, pour beaucoup, dans les marges. Et voir cette réalité reflétée à l’écran, dans une industrie qui les a longtemps ignorés, reste thérapeutique pour certains.
Mais vient un moment où la reconnaissance ne suffit plus. Où l’on peut dire « merci » et « maintenant, donnez-nous autre chose ».
Il ne s’agit pas de censurer la douleur, mais d’élargir la focale. De permettre à l’imaginaire afrodescendant de respirer autrement : par la joie, la réussite, la beauté non mutilée, l’amour sain, l’héritage transmis plutôt que perdu.
Dans un monde où les récits façonnent les regards (et donc les politiques, les corps, les destins) la pluralité des représentations devient un enjeu vital.
Le film, pour tous ses travers, reste un objet de conversation culturelle essentiel. Il remet sur la table des questions sensibles : les violences institutionnelles, la pauvreté féminine, le mépris social, le désespoir des mères noires. Des réalités trop souvent tues.
Mais il ouvre aussi une brèche pour les artistes, producteurs, et scénaristes afrodescendants qui aspirent à représenter d’autres trajectoires. Pas forcément idéalisées. Mais diversifiées.
Chez Nofi, nous croyons à la puissance des récits. Et à leur responsabilité. L’œuvre de Tyler Perry ne doit pas être jetée aux orties. Elle témoigne, elle console, elle dérange. Mais elle appelle aussi à un souffle neuf.
Il est temps de compléter la fresque. D’inventer d’autres voies. De créer des Straw, oui, mais aussi des Crown, des Dream, des Joy.