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Philippe Lacôte ou le cinéma comme miroir de la société ivoirienne

Culture

Philippe Lacôte ou le cinéma comme miroir de la société ivoirienne

Par SK 28 septembre 2017

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« Je revendique le droit, en tant que cinéaste, de questionner la société qui est la mienne. »

Philippe Lacôte est un réalisateur et producteur franco-ivoirien résolument dissident. En effet, il a pris le parti de mettre son art au service de l’information en questionnant la société sur ses travers, ses phénomènes, sa violence. Après une immersion dans la crise ivoirienne post-électorale avec « Run », il entamera l’année prochaine le tournage de son second long-métrage « Zama-King ». Un film qui dépeint cette fois une société ivoirienne post-guerre, rongée par une nouvelle forme de fureur juvénile : les microbes. Entretien avant-première avec un cinéaste téméraire.

Présentez-vous.

Je m’appelle Philippe Lacôte, réalisateur de long-métrages et de fictions. Mais j’ai aussi réalisé des films documentaires. Depuis plus de 10 ans, mon travail s’est focalisé sur la situation sociale et politique en Côte d’Ivoire. C’est à ce titre que mon prochain long métrage, Zama King, évoque, même si ce n’est pas le sujet principal, la trajectoire de Zama, le chef d’un groupe de « microbes ».

Qui sont ces « microbes » ?

Les « microbes », c’est le nom donné à des gangs dont les membres ont entre 10 et 18 ans et qui sévissent dans les quartiers populaires d’Abidjan. C’est un phénomène qui s’est développé après la guerre de 2011, avec aussi l’apparition des « fumoirs » qui sont des lieux de vente et de consommation de drogue.

Société

Peut-on parler d’enfants-soldats ?

On ne peut pas parler d’enfants soldats au sens direct du terme car à ma connaissance, ces enfants n’ont pas été sur le front mais la plupart des témoignages confirment que certains ont servi d’informateurs à la rébellion qui soutenait le président Alassane Ouattara, et plus particulièrement au Commando Invisible, les premiers à être entrés dans Abidjan. Les autres sont des enfants déscolarisés et issus de quartiers très pauvres de la capitale.

Comment avez-vous entendu parler de cette problématique ?

C’est une problématique qui est connue de tous les ivoiriens car il ne se passe pas une semaine sans une agression de « microbes ». Elle est aussi abordée par différents cinéastes, chacun à sa manière. Personnellement, c’est quand le chef de gang Zama a été lynché par la population et que la vidéo a été publiée sur les réseaux sociaux, que j’ai décidé de faire ce film. Au delà donc du phénomène des «  Microbes », c’est la question de la violence dans une société post-guerre qui m’intéresse.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de leur dédier ce film ?

Ce n’est pas un film dédié aux «  Microbes ». C’est un film qui va questionner la trajectoire d’un jeune homme, Zama, et qui commence dans une prison. Mon approche n’est pas seulement politique et sociale, elle se veut aussi poétique et narrative. L’histoire de Zama est racontée depuis la prison d’Abidjan, la MACA, une nuit de lune rouge…

Les thèmes abordés dans vos films sont souvent politiques. Pourquoi cet engagement ?

Je revendique le droit, en tant que cinéaste, de questionner la société qui est la mienne. Aujourd’hui sur le continent africain, c’est une démarche qui est un peu risquée car les pouvoirs africains ne sont pas habitués à être critiqués ou observés. Mais elle me semble nécessaire pour témoigner des réalités. Je viens aussi d’une double histoire politique, en France et en Côte d’Ivoire. Pour moi, le politique c’est aussi du narratif. C’est du récit, des histoires…

Le cinéma français manque-t-il parfois de prise de position ?

Oui, même s’il y a des exceptions qui confirment la règle. C’est toujours plus confortable de ne pointer personne et de faire son film dans les appartements et terrasses de café parisiens. Aussi bien pour la promotion que pour le financement.

Cela pose-t-il un problème au niveau de l’exploitation de vos films en salles ?

Je n’ai pas le sentiment d’être un révolutionnaire. Il y a des réalisateurs qui vont filmer des endroits dangereux. Mais le simple fait d’aborder des sujets de sociétés un peu brûlants, fait qu’en Côte d’ivoire, par exemple, certains sponsors ne veulent pas suivre.

Pensez-vous que la diaspora soit sensible à ces sujets ? Qu’en est-il des élites africaines ?

Je ne sais pas à quoi est sensible la diaspora africaine, je ne réfléchis pas en ces termes. J’essaie d’être au plus juste avec le terrain que j’ai choisi d’observer. Quand aux élites africaines, il  y a longtemps qu’elles ont démissionné de tout.

Pour quand le film est-il prévu ?

Le tournage est prévu en Juillet 2018. Une année de préparation, c’est long et court à la fois. Nous en sommes à la recherche de financements et avons déjà le soutien du Fonds Ivoirien de cinéma, le Fonsic.

Pouvez-vous déjà nous parler du casting ?

Le casting de Zama King va faire appel aux acteurs de mon précédent film avec qui j’ai l’intention de continuer à travailler : Isaach De Bankolé, Abdoul Karim Konaté et Abdoul Bah qui aura le rôle principal. En plus des acteurs, nous avons fait un casting officiel à Abidjan et très bientôt un casting à Paris pour les acteurs de tout le continent africain (nord et sud).  A la fin tout ce beau monde sera mélangé à des non acteurs venant de la rue.

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