François Lecointre, le nouveau chef d’État-major des armées a-t-il collaboré avec les génocidaires Hutu ?

Lors d’une entrevue pour le journal « l’Humanité« , le spécialiste de la politique française en Afrique a déclaré que le nouveau Chef d’État-major nommé par Emmanuel Macron avait « collaboré » avec Alfred Musema, un des organisateurs du génocide Tutsi.

Qui est le Général François Lecointre ?

Le 19 juillet 2017, François Lecointre était nommé chef d’État-major des armées par Emmanuel Macron, suite à la démission du général de Villiers. Il entre en fonction le lendemain de sa nomination [1]. Né le 6 février 1962 à Cherbourg, Lecointre étudiera au Prytanée National Militaire à La Flèche avant d’intégrer l’École spéciale militaire de Saint-Cyr.

Entre 1993 et 1996, il sera le Commandant de la compagnie de combat du 3e régiment d’infanterie marine (3e RIMa) à Vannes. À ce poste, François Lecointre participera à l’Opération Turquoise en 1994 au Rwanda. Cette opération militaire dirigée par les Français au Rwanda sous le mandat des Nations Unies avait pour objectif :

« De maintenir une présence en attendant l’arrivée de la MINUAR [2] élargie … Les objectifs assignés à cette force seraient les mêmes attribués à la MINUAR par le Conseil de sécurité, à savoir contribuer à la sécurité et à la protection des personnes déplacées, des réfugiés et des civils en danger au Rwanda, par des moyens comprenant l’établissement et la maintenance, si possible, de zones humanitaires sûres. » [3]

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Les politiques Français ont fourni au gouvernement génocidaire de Juvenal Habyarimana un soutien militaire et diplomatique…

Mais ce qu’il faut garder à l’esprit, c’est que la France est régulièrement mise en cause dans l’Opération Turquoise. On a notamment accusé cette opération militaire française d’avoir permis de fournir des armes aux génocidaires Hutus. Le gouvernement français a jusqu’à présent rejeté toute responsabilité dans le génocide. Néanmoins, Nicolas Sarkozy admettra du bout des lèvres, en novembre 2007, que des « erreurs » ont été commises 

« Nous n’avons pas toujours su prévenir ou arrêter des drames innommables (…) Je pense au Rwanda et à son génocide, qui nous oblige à réfléchir, France comprise, à nos faiblesses ou nos erreurs » [4]

Rappelons tout de même que de nombreux rapports indépendants et des travaux de recherches universitaires ont permis de préciser l’implication et la culpabilité de la France dans ce drame. C’est d’ailleurs ce rôle qu’a joué l’armée française lors du génocide Tutsi de 1994 qui crée ces derniers temps la polémique. En effet, certaines voix accusent le Général Lecointre d’avoir collaboré avec les génocidaires Hutu.

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Le général Lecointre, un collabo ?

Cette accusation lourde de sens a été lancée le 21 juillet par Jaques Morel, auteur de « la France au cœur du génocide des Tutsi » présenté comme un spécialiste de l’Afrique, à l’occasion d’une interview pour l’Humanité [5]. Interrogé par le journal communiste, il prétendra qu’au cours du génocide Tutsi, en 1994, qui coûta la vie à un million de personnes, le Général François Lecointre, alors Capitaine d’infanterie de marine, aurait collaboré avec les génocidaires. Il s’agirait notamment de liens qu’il aurait entretenu avec Alfred Musema qui a joué un rôle prépondérant dans l’extermination systématique des Tutsi qui s’étaient réfugiés dans la région montagneuse de Bisesero. Selon Jacques Morel :

« Responsable des troupes, il [François Lecointre] collaborait avec le directeur de l’usine à thé, Alfred Musema, un des organisateurs du génocide dans la région de Bisesero. Nous en avons des preuves. Au moment de son procès au Tribunal pénal international pour le Rwanda (Tpir), où il a été condamné à perpétuité pour génocide, une pièce à conviction déposée par sa défense est une lettre du capitaine Lecointre adressée à Musema. [5]

Alfred Musema à la Chambre d’appel du Tribunal pénal international pour le Rwanda

Avant d’aller plus loin, il est important de faire un point sur le sombre personnage qu’est Alfred Musema [6]. Il était le directeur d’une entreprise publique, l’usine à thé de Gisovu dans la préfecture de Kibuye, une ville de l’ouest du Rwanda, située au centre de la rive et du lac Kivu. Il a activement participé au massacre de milliers de ses concitoyens Tutsi. Le 27 janvier 2000, la 1ère Chambre de première instance du TPIR [7] a rendu son verdict et a déclaré – à l’unanimité – Alfred Musema :

  • coupable de «génocide»
  • coupable «d’extermination constitutive de crime contre l’humanité»
  • coupable de «viol constitutif de crime contre l’humanité»

 

D’une durée de cent jours, le génocide Tutsi fut le plus rapide de l’histoire et aussi le plus meurtrier quant au nombre de morts par jour.

Il a été condamné à la prison à vie, peine maximale prévue par le TPIR. Mais revenons aux graves accusations de Jacques Morel. Toujours durant l’interview, ce dernier va plus loin en affirmant :

Dans cette missive datée du 18 juillet 1994, il l’informe qu’il va changer de secteur et qu’il laisse la région à un subordonné. Ce document montre que leurs relations étaient cordiales. Au lieu d’enquêter et de l’arrêter, Lecointre a collaboré avec lui. Ce ne sont pas les seuls éléments. Dans une lettre rédigée dans l’Ancre d’or datée du 18 juillet, le capitaine évoque les sauvetages d’enfants tutsis cachés chez des Hutus. Il y décrit des opérations de sauvetage qui se déroulaient la nuit, sans lampe, pour ne pas être repérés par les miliciens, qui, dit-il, « poursuivent leurs patrouilles de nuit ». Preuve que les Français ont laissé les miliciens opérer librement dans la zone « humanitaire sûre » décrétée par l’Hexagone début juillet. Cette zone humanitaire était sûre pour les miliciens, car ils pouvaient continuer à opérer sans être attaqués par le Front patriotique rwandais (FPR). De fait, le nouveau chef d’état-major défendait les auteurs du génocide rwandais. »

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En guise de conclusion, M. Morel déclarera :

« François Lecointre, un officier des troupes de marine, autrement dit des troupes coloniales, a été nommé à la tête des armées (…) l’armée française intervient pour contrôler des pays africains, motivée par des raisons de puissance et d’enjeux pétroliers ». [8]

Ainsi donc, il y aurait une sacrée brochette à la tête de l’État… En effet, outre le Général Lecointre, supposé complice du génocide Tutsi, notons que le 1er ministre Édouard Philippe, n’est autre que l’ancien directeur des affaires publiques d’Areva, ce qui l’implique de facto dans le pillage de l’uranium au Niger. Il est de surcroît très proche d’Alain Juppé qui lui-même recevait les chefs génocidaires Hutu au quai d’Orsay…

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Notes et références :

[1] « Décret du 19 juillet 2017 portant affectation et élévation d’un officier général« , Journal officiel de la République française, publié le 20 juillet 2017

[2] La MINUAR était la Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda.

[3] « Résolution 929«  du Conseil de sécurité des Nations Unies, publiée le 22 juin 1994

[4] « France-Rwanda en marge du sommet Union européenne-Afrique« , huffingtonpost.fr, publié le 8 décembre 2007

[5] « Jacques Morel : « Le nouveau chef d’état-major défendait les auteurs du génocide rwandais »« , l’Humanité, publié le 21 juillet 2017

[6] Alfred Musema, trialinternational.org

[7] Le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR), créé en novembre 1994 par le Conseil de sécurité des Nations Unies avait pour but de juger les personnes responsables du génocide Tutsi entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994.

[8] « François Lecointre a-t-il « défendu les auteurs du génocide rwandais » ?« , Nouvel Obs, Publié le 21 juillet 2017

Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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