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Rencontre avec Igor LDT, jeune parolier conscient

Culture

Rencontre avec Igor LDT, jeune parolier conscient

Par SK 19 août 2017

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Igor est une jeune plume du rap. Contrairement à la musique dans l’ère du temps qui repose essentiellement sur le divertissement, il propose une écriture profonde et réaliste inspirée par le monde qui l’entoure. Surnommé Igor LDT pour « le lascar de tess », il écrit depuis l’adolescence et s’est retrouvé dans la musique presque sans le faire exprès. Une passion mais aussi une façon de briser le cercle vicieux du drame des banlieues. Igor porte un regard lucide sur son vécu et sa carrière. A 25 ans, il sortira un premier projet à la rentrée, florilège de titres puissants dans lesquels il ne mâche pas ses mots. NOFI vous présente Igor.

« Je ne veux pas seulement divertir, j’ai envie qu’on écoute mon texte et qu’on s’y retrouve ».

Comment démarre ta carrière dans le rap ?

Au début c’était juste, je tournais un peu avec Guizmo, comme c’est un ami d’enfance. Plus tard j’ai rencontré mon équipe. C’est  important d’être entouré parce qu’il faut quelqu’un pour driver, pour clipper et monter. Une vraie équipe est surtout utile face aux maisons de disques.

S’il n’y avait pas le rap, qu’aurais-tu voulu faire ?

J’aurai sûrement fait du commerce. J’étais en vente à l’école donc j’aurai tenté dans cette voie mais tu peux faire du rap et après de la vente, je pense que c’st mieux dans cet ordre là (rires).

Pourquoi tu écris ?

On m’a dit que j’étais doué pour ça donc j’ai continué. J’ai commencé à rapper dans les halls pour mes potes après on m’a poussé à continuer. Avant je faisais du foot et j’ai arrêté après mon accident pour me mettre à fond dans la musique.

En 2017, y a-t-il encore des choses à dénoncer dans les banlieues françaises ?

Oui, toujours. Ça s’est modernisé mais ça n’a pas vraiment changé. Les gens qui vivent hors des banlieues ont encore des choses à dire sur nous en 2017 donc pourquoi nous on n’aurait plus rien à dire. A mon époque, on vit toujours les mêmes choses, la même misère, on est toujours à l’écart. J’habite dans une zone au fin fond du 94, à Valenton, c’est très loin. On n’a pas de gare, pas de commissariat, juste une mairie.

Les rappeurs doivent-ils forcément prendre position ?

A la base rap signifie Rythm and poésie mais vu que j’habite dans un quartier, forcément, je suis un spectateur de ce qui se passe. Chez moi, mes parents regardent la politique donc c’est dans nos vies quotidiennes en fait. J’en parle obligatoirement, je ne sais pas si c’est prendre position mais ce sont des choses courantes.

Que penses-tu apporter à cette industrie du rap ?

J’apporte ma vision. Chacun a son identité propre et différente des autres. Tout se ressemble forcément parce qu’on vient tous un peu des mêmes milieux. Certains veulent faire danser, moi j’aimerais faire réfléchir un peu. Je pense que les petits frères ne réfléchissent plus trop, ils préfèrent danser mais danser on connaît déjà. Ça ne sert à rien, on s’abrutit alors que des choses graves se passent devant nous. On ne peut pas faire que ça. J’aime le divertissement mais tout le monde le sait que nous Noirs on aime danser, il faut avancer. Par contre, je ne veux pas me centrer que sur la conscientisation parce que ça peut être lourd.

Parles-nous du morceau Douce France, qui traite du Front National et de Marine le Pen.

Je l’ai écrit il y a deux ans. Je ne voulais pas le sortir maintenant mais j’ai cru que Marine le Pen allait passer. Mais sincèrement, même si on l’avait élue, je ne crois pas que ça aurait changé grand chose à Valenton. Ça fait des années qu’elle et sa famille passent au second tour. Donc je comprends les gens qui ne votent pas. Moi par contre, je vote parce que c’ets gratuit et que j’en ai le droit.

Comment as-tu vécu les affaires Théo et Adama ?

C’est bien qu’on les ait exposés mais malheureusement y’en a plein C’est triste.  J’ai vécu ces affaires comme si j’en avais été victime moi-même parce que ça peut m’arriver. Dans mon patelin, lorsque les forces de l’ordre arrivent on a le même réflexe. C’est déjà arrivé à des grands de chez moi, j’ai moi-même eu affaire aux policiers. C’est désolant. Je savais déjà pourquoi je fuyais en les voyants mais ces actualités ont été pour moi une confirmation.

Crois-tu que ton milieu et ta couleur de peau changent ton rapport aux institutions ?

(Rires). Ce n’est même plus une question à poser. On vient des quartiers, la majorité de la population y est africaine. C’est là où les forces de l’ordre sont le plus présentes, là où il y a le plus de confrontations, d’altercations et ça fait des décennies que ça dure. Donc oui, c’est logique. La couleur de peau pose problème et on en a conscience depuis le début. Quand tu te balade sur Paris tu vois rarement des bandes de jeunes européens contre le mur, mais les citoyens d’origine africaine c’est fréquent. Après, c’est vrai que comme on est les plus défavorisés on retrouve souvent chez nous des gens qui empruntent le chemin de la délinquance. Les gens ont l’œil sur nous.

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Es-tu tout de même Noir et Fier ?

Je suis fier d’être noir. Ma mère m’a toujours appris à marcher la tête haute. Je n’essaye pas de changer le fait qu’on ne nous aime pas. Dans dix ans il y’aura encore des gens qui n’aiment pas les Noirs mais moi je m’en fous, j’essaye de m’en sortir et c’est déjà assez difficile comme ça.

Le rap était un moyen de t’en sortir ?

Oui. Dans nos quartiers, si tu n’a pas fait beaucoup d’études il reste le sport ou la musique pour s‘en sortir. Selon ce que tu sais faire il ne faut pas lâcher. C’est un chemin qui est déjà tracé, comme pour le fils de médecin ou avocat, il sait déjà à peu près ce qu’il fera plus tard (rires). Nous on a des écoles en ZEP*, la conseillère de désorientation nous dit qu’on doit aller faire mécanique ou plomberie directement. Mon père est professeur. On peut avoir des parents instruits mais s’ils sont dans la difficulté, on doit un peu se débrouiller. Malgré sa profession mon père habite un quartier, ça ne lui pas donné le statut bien qu’il soit juriste et surdiplômé. Le rap est aussi une passion pour moi et ça se passe bien pour l’instant. Mes parents me soutiennent, mes frères, mon quartier et c’est important parce que je ne pense pas que j’aurai bataillé aussi longtemps sinon.

Quels sont musiciens t’inspire ?

Il y en a beaucoup. Mais parmi ceux qui me touchent  il y a le rappeur Salif, Kery James, Booba, Rohff. J’écoute de tout. Ça m’a inspiré pour écrire plus jeune. Les gens ne le savent pas mais lorsque tu ne prends pas le rap au premier degré, ça t’aide à réfléchir et ça te redonne confiance en toi. C’est réconfortant de savoir que tu n’es pas seul à vivre ta petite galère. J’écoute aussi beaucoup de Zouglou, Petit Yodé, L’enfant Sirop, Petit Denis, Les garagistes. Les zougloumen sont des rappeurs, ils ont des choses à dire et à côté le rap c’est de la variété. Eux prennent réellement position. Je ne sais pas si aujourd’hui ils ont encore le droit de le faire mais avant c’était profond.

Comment définirais-tu ta musique en quelques mots ?

Je dirais que je ne dis pas de la merde. Je ne veux pas seulement divertir, j’ai envie qu’on écoute mon texte et qu’on s’y retrouve. Même si demain je fais de l’Afrotrap je ferais en sorte de ne pas dire de la merde. Pour moi quand tu écris il faut que ça ait du sens, sinon je n’y arrive pas. D’ailleurs, on a eu du mal à me faire épurer un peu mes textes.

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Est-ce que l’Afrotrap  est un genre qui te parle ?

J’aimerais en faire aussi mais plutôt avec des artistes qui ont des choses à dire, qui comme nous sont en galère dans leur pays. Faire les deux ce serait bien, parce qu’il n’y a pas que des danseurs en Afrique. Mais quoiqu’il arrive, partout où il y a de l’afro c’est bien.

Quels rapports entretiens-tu avec l’Afrique ?

Des rapports un peu difficiles. Mon père a voulu m’y envoyer là-bas parce que j’étais un peu turbulent. A 13 ans tu as déjà des amis, des habitudes. Mon grand frère avait pris une peine de trois ans au bled et à son retour il parlait différemment. Donc je n’y suis jamais allé.  Après évidemment ça m’intéresse, je voudrais y aller de moi-même, pas en punition chez un oncle, avec mon billet d’aller et mon billet de retour (rires). Je ne fais pas attention à la façon dont les médias couvrent négativement ce qui s’y passe. J’écoute plutôt les gens qui ont été sur place et qui ont développé des choses là-bas. Les européens y vont et font de grands business, pourquoi pas nous ?

Peux-tu nous parler de ton premier projet à sortir à la rentrée ?

Le projet sort en septembre. Il comptera environ 8 titres parce que l’album suivra en début d’année. Là c’est une présentation au publique. C’est mon petit bébé, je donnerais le nom quelques jours avant (rires). Il sera disponible sur toutes les plateformes de téléchargements.