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Les Noirs qui rappellent la participation de Noirs à l’esclavage n’ont rien de subversif

Histoire

Les Noirs qui rappellent la participation de Noirs à l’esclavage n’ont rien de subversif

Par Sandro CAPO CHICHI 10 mai 2015

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De nombreux Noirs semblent penser faire preuve de subversion en dénonçant l’existence de collaboration de Noirs à l’esclavage.

Par Sandro CAPO CHICHI / nofi.fr

Dans son article ‘Esclavage : « La complicité de monarques africains est une donnée objective », selon l’anthropologue sénégalais Tidiane N’Diaye’, notre confrère du site www.la1ere.fr Philippe Triay prend ouvertement parti:

C’est une réalité sur laquelle historiens, journalistes et militants ont souvent jeté un voile, par lâcheté intellectuelle ou opportunisme idéologique. Mais les faits sont têtus, et il existe assez d’archives pour l’attester. Durant les longs siècles de traite et d’esclavage arabo-musulman puis occidental, des Etats négriers d’Afrique ont participé et se sont enrichis grâce à ce commerce, comme les royaumes d’Ashanti ou d’Abomey (actuels Ghana et Bénin) par exemple (voir cartes ci-dessous).
Ce type de réactions de Noirs dans les médias n’est pas rare.

Il y a plusieurs années par exemple, l’historien béninois Felix Abiola Iroko popularisait dans les médias son ouvrage où il prétendait une plus grande responsabilité des ‘Africains’ par rapport aux négriers blancs dans la traite des Noirs.

Noirs à l'esclavage

Dans cette vidéo, Iroko utilise de manière intéressante le terme ‘les Africains’ et les ‘négriers européens’ pour désigner les responsables de la traite. On notera que si ce n’est par l’intention, les effets de cet usage de mots culpabilisent l’Afrique toute entière alors que seule une partie infime des  Européens dont l’activité sur place est en outre minimisée est rendue responsable du crime. Iroko est originaire de Kétou, une vieille cité yoruba de l’actuel Bénin qui a souvent été victime des exactions, notamment à des fins esclavagistes, des rois de Dahomey. Pour avoir lu un certain nombre de travaux de cet auteur, il ne semble pas exagéré de penser qu’il y trahit une forte rancune personnelle à l’endroit de ces derniers, tout comme un certain nombre d’autres habitants de territoires autrefois harcelés par Dahomey comme Dassa ou Savé.

Je comprends qu’au Bénin, la tendance à la glorification de rois de Dahomey présentés exclusivement par leurs descendants comme des héros résistants à la colonisation puisse poser problème auprès de descendants de leurs victimes non seulement vendues, mais aussi massacrées lors de sacrifices humains sur l’ordre de ces mêmes rois. Je comprends de ce fait qu’évoquer la participation de ces Africains à l’esclavage puisse paraître ‘subversive’ dans un contexte bénino-béninois. Pour les populations locales victimes de ces exactions en effet, la responsabilité des Européens était bien moins palpable et réelle que celle de leurs voisins qui venaient les attaquer.

De même, un contexte antillo-antillais où se multiplient les tentatives d’emphase du rôle de victimes des Africains comme des Antillais dans la traite, je comprends qu’un Antillais comme Philippe Triay puisse croire au caractère subversif de son article. Le problème est que le manque de perspective épistémologique de la question chez ce type d’auteurs semble leur donner l’impression que leurs réactions sont des réactions objectives cherchant à rétablir la vérité en réponse à des abus idéologiques de la part d’Africains cherchant à cacher leur part de responsabilité dans l’esclavage. C’est notamment ce que suggère Philippe Triay, lorsqu’il écrit : « C’est une réalité sur laquelle historiens, journalistes et militants ont souvent jeté un voile, par lâcheté intellectuelle ou opportunisme idéologique. Mais les faits sont têtus, et il existe assez d’archives pour l’attester. »

La réalité est toute autre. La posture africaine cherchant à montrer l’Afrique comme une victime de la traite et non comme le bourreau des ancêtres des Noirs du Nouveau Monde est une réponse à une idéologie dominante largement diffusée dans les manuels d’histoire français à l’attention des Noirs de leur ancien empire colonial. Selon cette dernière, les Européens, non content d’être autant voire moins responsable que les ‘roitelets’ africains auraient quasiment à eux seuls mis un terme à ce crime.Si beaucoup d’Africains, et c’est notre cas sur NOFI, ne parlons pas de responsabilité partagée ou de rois africains collaborateurs, c’est parce que cette théorie a déjà été utilisée ad nauseam par les historiens blancs et leurs épigones. Elle a pénétré notre conscience collective à un tel point que beaucoup d’entre nous pensons qu’il ne peut s’agir que de la vérité. Il ne s’agit en réalité que d’une posture idéologique, qui lorsque l’on procède à une étude épistémologique digne de ce nom (nous en débattrons dans un prochain article), montre qu’elle relève de l’idéologie dominante. Dénoncer comme l’ont déjà fait les ‘roitelets’ africains (expression utilisée pour déprécier les états africains pré-coloniaux en plus de les criminaliser) contribue de ce fait à promouvoir ce traitement européen, pro-colonialiste et anti-panafricain de la traite. Il n’est de ce fait absolument pas un geste subversif en ce qu’il  ne sert qu’à promouvoir une idéologie dominante depuis des décennies. La véritable subversion consiste selon nous à mentionner des formes de résistance à l’esclavage inconnues du grand public en Afrique comme en Amérique par des Noirs, par leur génie architectural, leur courage, leur rectitude morale, les efforts employés pour retrouver leurs parents déportés, le rôle exclusif des Occidentaux dans l’établissement de ce commerce, etc. et non des informations mille fois rapportées sur la participation de royaumes africains à l’esclavage et sur le rôle providentiel de Blancs dans la fin de ce Crime contre l’Humanité.

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