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Dossier : « Oui je suis Noir et je souffre de dépression »

Santé

Dossier : « Oui je suis Noir et je souffre de dépression »

Par Steffi Mateta 8 septembre 2015

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La dépression, une maladie qui dans notre communauté n’a pas de sens. Rien qu’à en voir les réponses laissées à notre appel à témoin, on voit que ce n’est pas une vraie maladie pour beaucoup d’entre nous :

« Les noirs ne dépriment pas, ils boudent »

« Un noir ne peut pas déprimer après tout ce que ses ancêtres ont vécu »

« La dépression, c’est de la sorcellerie »

 

Nous nous sommes donc interrogé sur le sujet. La dépression est-elle une maladie inventée par les blancs ? Est-ce une manière d’excuser notre découragement face aux différentes épreuves de la vie ?

La dépression est caractérisée par un état durable de profonde tristesse et d’abattement. Elle s’accompagne d’anxiété, d’impression d’impuissance globale et d’inéluctable fatalité, de sentiment aigu de solitude, souvent avec une baisse de la capacité de concentration. Non traitée, elle peut induire un comportement suicidaire.

Les symptômes d’une dépression n’étant pas visibles, beaucoup de personnes ont encore du mal à la décrire comme une maladie réelle.

De par son histoire, un noir ne peut concevoir qu’un autre noir se lamente sur son sort. Il se doit d’être fort, tenace, persévérant, constant dans l’épreuve. Parce qu’un noir en Occident a plus de chance qu’un noir resté en Afrique (selon ce que les médias nous montrent et tentent de nous faire croire), il n’a pas le droit de se laisser aller.

Or, dans la réalité des choses, beaucoup ont souffert et souffrent encore de cette maladie. Pression familiale, isolement géographique, maltraitance au travail, violence conjugal, perte d’un proche… les noirs ne sont pas exempts de ce genre de situation pouvant conduire à un état de dépression. Parfois, il n’y a même pas besoin d’avoir souffert. Tout va bien mais la personne ne trouve pas la force d’être heureuse.

Est-ce que ça signifie que ce sont des personnes faibles ? Est-ce que cela veut dire qu’elles n’ont pas de courage ?

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Dire qu’une personne est faible parce qu’elle n’arrive pas à reprendre goût à la vie n’est pas la chose la plus intelligente à faire pour l’aider. D’un autre côté, diagnostiquer une dépression à tous ceux qui ont du mal à se remettre de gros chagrins, n’est pas une bonne chose non plus. La limite entre l’apitoiement sur soi et la dépression est difficile à établir. C’est pour cette raison qu’on a encore du mal à reconnaître un dépressif et à accepter le fait qu’il ait besoin d’aide. Au contraire, on tend à se détourner du malade de peur que sa mauvaise humeur ne déteigne sur nous.

 

Deux témoignages ont retenu notre attention. Ils sont ou étaient dépressifs et ont dû faire face aux critiques de leur entourage.

 

J’ai toujours été une personne active, intégrée dans la société, ambitieuse et j’avais tout pour continuer à jouir de cette vie que je menais.
J’ai travaillé 6 ans sans interruption et ce, dans la même branche et au même poste, tout en changeant d’entreprise et de secteur afin de trouver l’endroit et les collègues avec qui je pourrai faire un bon bout de chemin professionnel. Je suis indépendante et vis seule, sans enfant étant également célibataire. Je sortais avec des amis, des collègues, je voyais également ma famille, tout allait pour le mieux. Suite à mon intégration dans une nouvelle entreprise, beaucoup plus proche de chez moi, j’ai commencé à vivre ma carrière professionnelle d’un nouvel oeil opportun, car le recruteur avait mentionné une possibilité d’évolution de carrière…

Pendant un an tout s’est bien passé, jusqu’au jour où j’ai commencé à me sentir mise à l’écart, jugée, pointée du doigt, rabaissée suite à un nombre répété d’absences justifiées par des arrêts maladies, par une collègue qui était très jalouse. Au vu de son ancienneté, elle a su mettre tout le monde de son côté sans aucune justification de ce qu’elle avançait à mon égard. J’ai commencé à avoir des symptômes de type: nausées et/ou vomissements, absence de selles, ballonnements, parfois diarrhées, impossibilité de contrôler mon stress, impossibilité d’avoir une alimentation normale ou équilibrée, perte de poids, fatigue, grande anxiété.

Mon médecin me faisait passer tous sortes d’examens : échographie, prise de sang, aucun problème à signaler. Il mettait en place des traitements médicamenteux, rien ne fonctionnait. Jusqu’au jour où, un soir, mon médecin m’a dit au téléphone que quelque chose n’allait pas et il en était convaincu, mais que cela n’était pas biologique mais psychologique, et que je devais venir le voir pour que l’on en discute. Et là, je me suis effondrée en larmes. Le diagnostic « dépression » a été posé et validé par une psychologue également. La cause en était la fatigue mentale et physique causées par la pression professionnelle suite aux médisances que j’avais subies sur mon lieu de travail. Je m’en suis voulue de ne pas être assez forte pour passer outre ces médisances car une fois que j’en ai parlé à ma famille, ce fut la totale incompréhension et même un abandon car mes parents n’étaient pas en mesure de l’entendre ni même de l’accepter. Pour eux, ce genre de médisances ont toujours existé et existeront toujours et on doit se taire et continuer à aller travailler. Quand vos propres parents, vos géniteurs, vous disent ça, que pensez-vous que cela fait? Je me suis perdue, j’ai totalement perdue confiance en moi, j’ai été dans des situations au plus proche de vouloir partir que de rester à souffrir, le psychiatre qui fait mon suivi, lui-même ne faisait pas grand chose, c’est juste une question de quota. J’ai commencé à ne plus sortir de chez moi, c’est-à-dire, à rester 3-4 jours chez moi sans même descendre récupérer mon courrier. J’ai commencé à avoir peur du monde extérieur, à ne plus prendre les transports en commun mais comme je ne sortais plus cela aggravait la situation. Les amis ont disparu face à l’incompréhension. La famille a préféré rester à l’écart me laissant seule face à ce combat, ce n’est qu’un an et demi après qu’ils reviennent vers moi et me comprennent mieux car certaines choses se sont débloquées et que la vie commence à reprendre sa place.

 

Anonyme

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En ce qui me concerne, j’ai commencé à ressentir comme un boulet dans ma vie en 2005 – une sensation physique d’avancer mais d’être constamment tirée en arrière, doublée d’une grande fatigue chronique. Cette sensation s’est intensifiée au cours des années au rythme des deuils familiaux de proches jeunes et des challenges scolaires que représentaient mes deux années de classe préparatoire et l’obtention de mon diplôme d’ingénieur, couronné d’une fin de contrat plutôt abusive après 3 mois dans mon premier CDI.

Ce n’est qu’en fin 2013/début 2014, lorsque je vivais et travaillais au Cameroun, que j’ai fini par accepter que quelque chose n’allait pas. En bonne « Noire » je pensais pendant tout ce temps que la dépression, c’était un truc de babtous! Alors je la « combattais » en gardant le sourire. Mais je ne pouvais plus la nier lorsque j’ai commencé à avoir des comportements agressifs envers mes proches, et que j’ai eu une énorme crise de nerfs après le deuil d’une de mes cousines proches dont j’ai découvert le corps sans vie dans un hôpital au bled…

Ces événements m’ont amenée à consulter un psychologue Camerounais – oui, il y a des psychologues noirs africains et c’est une bénédictions – et c’est comme ça que, pour la première fois de ma vie, quelqu’un « au visage familier » m’a fait réaliser que je n’étais ni folle, ni faible… mais que je devais changer ma manière de penser et d’agir pour m’émanciper des pièges de la dépression.

Aujourd’hui, je suis beaucoup plus consciente des pièges psychologiques dans lesquels nous les Noirs sommes enfermés et j’ai développé de nombreuses techniques efficaces pour me retrouver, car en dépression, on est comme inexistant, on n’est plus nous-mêmes, notre vie importe peu, on veut mourir. La dépression est une illustration de cela mais elle a de nombreuses formes et surtout, elle n’est absolument pas reconnue dans notre communauté.

Adriana