Brigade Anti-Négrophobie : « La statue de Colbert, l’auteur du Code Noir, devant le Parlement prouve que les Noirs n’ont jamais été des citoyens à part entière »
Société

Par Sébastien Badibanga 13 avril 2015
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Nous consacrons notre éditorial de ce mois d’avril aux Noirs de France. En 2015, cette frange de la population française est toujours victime de racisme, discrimination et autres clichés. Nofi a rencontré Franco, l’un des principaux responsables de la « Brigade Anti-Négrophobie » (BAN), pour recueillir la vision du collectif sur le militantisme en faveur de la cause noire.
(Interview Nofi)
Nofi : En ce qui concerne la cause noire, quelles sont les préoccupations du moment de la Brigade Anti-Négrophobie (BAN) ?
Franco : Les préocupations de la BAN sont toujours les mêmes, rappelant que nous luttons contre le racisme d’Etat en général et contre la négrophobie en particulier. Notre leitmotiv est avant tout la justice, et c’est donc pour elle que nous luttons avant tout. Le fait que nous luttions aujourd’hui contre la négrophobie, n’est pas de notre fait, mais bien la conséquence d’un Etat français que nous pensons viscéralement raciste et plus particulièrement négrophobe. Les faits historiques le prouvent, bien que les livres d’Histoire nous les cachent encore et toujours. La statue de Colbert (l’auteur et artisant du Code Noir) trônant devant l’assemblée nationale française (soi disant la maison du peuple auquel nous n’appartenons apparemment pas vu l’insulte qui nous est frontalement faite) prouve que nous ne sommes pas et n’avons jamais été des citoyens « français » à part entière. A nous d’ouvrir les yeux et d’accepter de regarder la vérité en face au lieu de croire aux fables que nous oblige à réciter le dit « pays des droits de l’Homme ».
Christiane Taubira est la cible de toutes les critiques, voire insultée par une certaine presse. Qu’est-ce que vous pensez du traitement qui lui est réservé par les médias hexagonaux ?
Que pensez-vous de la place que la République française réserve à ses citoyens issus de l’immigration noire africaine ?
Nous pensons que c’est une place qui reflète l’esprit de sa politique (néo)coloniale, sachant que comme la Françafrique, n’assume et n’affiche jamais la réalité de sa politique raciste alors qu’elle est le principal moteur de ce système et « des privilèges blancs » qui en découlent. Pour avoir une idée de la place que cette République nous réserve il faut que l’on arrête de regarder les belles apparences affichées par le dit « pays des droit de l’Homme » et que l’on apprenne à lire entre les lignes de ses fables pleines de bonnes intentions pour y déceler finalemet la réalité monstrueuse d’un racisme d’Etat français.
L’Etat français est hypocrite car il reconnaît l’esclavage comme crime contre l’humanité mais refuse de réparer ce crime pour mieux rappeler qu’il nous considère comme des sous-hommes (femmes)
Pourquoi tant de Noirs de France ne se sentent pas chez eux dans l’Hexagone ?
Si cette réalité est avérée (et elle sera dure à vérifier puisque la France interdit tout instrument de mesure ethnique nous permettant de prouver la réalité effective de son racisme et plus particulièrement de sa négrophobie), nous pensons que c’est parce que fondamentalement les « Noir (e) s » ne peuvent pas majoritairement se mentir à eux même. Les mythes fondateurs de ce pays qui fondent son identité ainsi que sa fierté nationale nous ont toujours exclu. Comme les comptes de fées réservés aux « Blanches », ils ne parlent jamais de nous. Alors comment peut-on se sentir fondamentalement partie prenante d’une histoire qui ne nous raconte jamais, exception faite des moments où l’on aide à gagner la coupe du monde (à moins de se mentir à soi-même). Même l’Histoire de la libération de ce pays durant la deuxième guerre mondiale a été « blanchie » effaçant la réalité des tirailleurs sénégalais (qui soit dit en passant n’étaient pas tous Sénégalais). Quand on parle d’effacer, c’est bien dans tous les sens du terme (cf massacre de thiaroye). Par ailleurs, la société française, soit disant égalitaire, nous discrimine toujours racialement et massivement ne serait-ce que dans les domaines de l’emploi, du logement, de la justice, de la politique… Il faut être aveugle pour ne pas le voir.
Qu’est-ce qu’il faudrait faire pour permettre aux Noirs français de trouver leur place dans la société ?
Que pensez-vous du travail effectué par les associations comme « SOS Racisme » et « Le Cran » ?
Tarzan est un film de propagande négrophobe ludique qui inocule chez les uns (les Noirs) un complexe d’infériorité, tandis que chez les autres (Blancs) un complexe de supériorité
Qu’est-ce que vous pensez de leur positionnement, par exemple, par rapport à l’exposition polémique « Exhibit B » ?
Leur positionnement est aussi suspect que le processus qui a mené à leur enfantement, puisque leur géniteur est celui qu’ils sont censés combattre, de même qu’il est celui qui a envoyé les forces armées pour défendre une liberté d’expression qui nous censure et nous « dé-nigre » depuis des siècles maintenant. Mais bon… nous ne demandons qu’à voir s’il est possible que le racisme d’Etat français accouche et surtout finance un remède capable de combattre le mal qu’il représente.
Peut-on dire que c’est une trahison le fait que Lilian Thuram et Audrey Pulvar, entre autres, aient soutenu l’artiste sud-africain ?
Dans un pays soi-disant démocratique, on devrait pouvoir tout dire. Mais plus sérieusement, nous avons plus été étonnés de la position de Mme Pulvar qui se présente comme une femme érudite dotée d’une fine analyse (même si son humilité l’empêche de le dire. Sic). Il faudrait qu’elle sache qu’en 2015, plus encore, ce qui caractérise la lutte contre le racisme ou plutôt la lutte décoloniale (de laquelle nous nous réclamons) c’est spécifiquement la lecture entre les lignes et non le fait de se focaliser sur les apparences d’un racisme ouvertement affiché et donc facile à déceler. Or, en ce qui concerne Exhibit B, on était vraiment dans l’analyse fine, sachant que le pire des racismes est toujours invisible à l’oeil nu. Pour le décrypter, il faut le passer au rayon X de nos esprits critiques. Mais après reste à chacun de choisir et trouver son camp. Rappelons seulement que l’exposition (insidieusement négrophobe) Exhibit B a été annulée à Toronto après un débat qu’on nous a refusé en France – pays des droits de l’Homme (et pas de la femme). Mais bon, vu que Mme Pulvar nous est présentée comme l’une de nos élites elle doit surement voir juste… en tout cas l’avenir le dira. Précisons par ailleurs que nous ne pouvons nous payer le luxe de nous fabriquer des ennemis dans nos rangs. Ne confondons jamais les marrionnettes et les marionnettistes qui les utiliseront comme pare-feu pour donner l’impression que nous nous querellons toujours entre Noirs, sans jamais voir le système « blanc » qui tire les ficelles et surtout les fruits de cette désunion qu’il orchestre dans les coulisses d’un pouvoir tout aussi blanc qui depuis la fin de l’esclavage n’avoue plus son nom.
Qu’est-ce que votre collectif pense de cette œuvre qui a provoqué l’ire de la communauté noire de France ?
Exhibit B aurait du provoquer l’ire de l’Etat français qui, hypocritement, prétend lutter contre tous les racismes
Quelle est votre vision du militantisme en faveur de la cause noire ?
Que pensez-vous du traitement médiatique sur le massacre de l’université de Garissa à Nairobi, la capitale du Kenya, qui a causé la mort d’au moins 148 personnes ?
C’est un traitement qui montre que même en 2015 la vie d’un Noir ne vaut pas celle d’un Blanc. Tarzan l’exprimait dans ses films, les médias mainstream le confirment.
Selon vous, l’émergence des médias tels que Nofi, NegroNews ou Afrostream est une bonne chose ?
Oui, à condition que l’on ne cherche pas à reproduire le modèle d’information occidental ou blanc en noir, sinon autant lire des médias occidentaux qui ont une vision suprématiste du monde. Nous concernant, nous n’avons pas la volonté de dominer le monde, nous nous battons avec nos faibles moyens pour un monde plus juste. Or, beaucoup d’entre nous repeignent en noir la maladie, voire la folie impérialiste de l’Occident. Nous ne pouvons pas les suivre dans ce sens jusque parce qu’ils ou elles sont noir (e) s, considérant qu’à ce moment là justement ils ou elles ont fini par renier ce qu’ils ou elles sont. En d’autres termes, ce qui nous interesse n’est pas tant de savoir si un Noir peut être aussi riche qu’un Blanc, mais quel est le combat que nous menons au quotidien pour préserver, cultiver ou sauver notre système de pensée qui n’a rien à voir et est autrement plus riche que celui de l’Occident. Nous ne pouvons nous complaire à l’intérieur d’un système de pensée voué à détruire la planète alors que par nature nous sommes voués à la protéger ou tout du moins à vivre en harmonie avec elle, voire l’univers. Faisons attention à ne pas vendre notre âme, en faisant finalement les mauvais choix. Nous sommes peut-être dominés par l’Occident, comme les Indiens (véritables Américains) ont été exterminés par eux, mais nos systèmes de pensées valent mille fois les leurs, même dans la défaite. A nous de croire en nous, car personne d’autre le fera à notre place.
Nous ne pourrons jamais véritablement être libres si nous ne retrouvons pas notre souveraineté étatique, spirituelle, intellectuelle, culturelle…
Le devoir de mémoire fait très peu la Une des journaux, ni l’ouverture des JT du 20 heures. Pourquoi la France n’assume toujours pas pleinement son passé colonialiste et esclavagiste ?
Parce qu’elle sait qu’elle a beaucoup à perdre à tous les niveaux si elle met le doigt dans l’engrenage des réparations. Au début ce sera une question financière sans doute, mais au final elle perdra ses (ex)colonies. Et nul n’ignore ce que serait la France (entre autres) sans les richesses qu’elle pille depuis des siècles dans les sous-sols africains ? Que serait ce petit pays sans la francophonie, vitrine de la colonisation de nos esprits ? et d’autres choses qu’elle a aussi pillées dans des registres plus culturelset spirituels (mais cela reste tabou).
L’enjeu des réparations est colossal, voilà pourquoi ils ne lacheront jamais si on ne se bat pas pour réclamer justice.
A votre avis, pourquoi est-il si important de confier aux historiens africains la tâche d’écrire l’Histoire des Noirs ?
Est-ce qu’être Noir et fier est, en soi, un acte politique ?