Idriss Déby sur la Libye : une dénonciation de la Françafrique?
Politique

Par Sandro CAPO CHICHI 7 janvier 2015
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Deux présidents africains, Idriss Déby du Tchad et Mahamadou Issoufou du Niger se sont récemment exprimés publiquement pour une nouvelle intervention en Libye de l’Occident, accusant ce dernier d’être à l’origine de la menace islamiste aux portes de leurs pays.
Depuis 2011 et le renversement du régime de Muammar el-Kadhafi en Libye, le chaos règne dans ce pays où s’opposent les islamistes de Fajr Libya et les forces dites ‘loyalistes’. Ce chaos se répand jusqu’en Afrique noire sous la forme de la dissémination des armes de Libye réutilisées par des Islamistes dans les pays du Sahel.
La France, chef de file de la première intervention occidentale en Libye, s’est elle prononcée contre le lancement d’une nouvelle, par le biais de son ministre des affaires étrangères Laurent Fabius.
En 2011, Henri Guaino, le conseiller spécial de l’ancien président rappelait à qui voulait l’entendre que le but principal de l’intervention française en Libye ayant eu lieu la même année n’était pas d’y faire du business.
Aujourd’hui, au vu de la déclaration du gouvernement français qui par le biais de son ministre des affaires étrangères Laurent Fabius a publiquement rejeté la possibilité d’une nouvelle intervention en Libye pour y remédier au chaos qui y a notamment vu la baisse de 3/4 de la production nationale de pétrole depuis Kadhafi, on ne peut qu’être admiratif devant Henri Guaino et ses aptitudes de voyant. Ou de demi-voyant plutôt, car fidèle à l’image que renvoie son oeil gauche visiblement abîmé, Guaino s’est trompé sur un point majeur, celui de la satisfaction des Libyens suite au renversement de Kadhafi.
Les intérêts de la France étaient-ils de mettre à mort le Guide libyen comme semblent le montrer les prises de position du gouvernement français? On pourra certes objecter que la guerre en Libye de 2011 était celle de Sarkozy et pas celle de Hollande qui n’aurait donc aucune raison d’y retourner, mais les faits semblent pointer du doigt un règlement de compte organisé par Nicolas Sarkozy pour faire taire un témoin trop gênant sur le financement de sa campagne.
Il y a quelques semaines, le Président Idriss Déby, du Tchad pointait également son doigt vers la piste d’une intervention en Libye motivée par une volonté d’ assassinat de Kadhafi lors du dernier Forum pour la paix et la sécurité en Afrique à Dakar, le 17 décembre dernier appelant les Occidentaux à assurer ‘le service après-vente’ de leur prestation:
« Contrairement à mon frère Macky Sall qui a dit que le travail en Libye n’a pas été achevé, le travail en Libye a bel et bien été achevé puisque l’objectif de l’OTAN était d’assassiner Kadhafi. Cet objectif a été atteint. Seulement, le service après-vente n’a pas été assuré. »

Idris Déby avec le ministre français de la Défense Jean-Yves Le Drian lors du Forum International sur la paix et la sécurité en Afrique à Dakar, le 16 décembre dernier. Photo : AFP PHOTO / SEYLLOU
« C’est l’intervention de l’OTAN et la chute de Kadhafi qui sont à l’origine du chaos qui a gagné toute la région. La Libye est devenue l’arsenal où se sont approvisionnés et armés tous les groupes salafistes que nous combattons. L’OTAN a assuré le dépannage mais pas le service après-vente. Or, elle dispose seule des moyens qui lui permettraient de finir le travail. C’est ce que nous attendons d’elle. »
Cette déclaration fut suivie il y a quelques jours dans une interview accordée à nos confrères de Jeune Afrique, à des déclarations similaires de la part de Mahamadou Issoufou, président du Niger:
« Il y a urgence. Et c’est à ceux qui ont créé cette situation de faire le job, sous l’égide de l’ONU. »

Mouhamadou Issoufou ressemble à Martin Luther King et comme lui, il rêve de paix dans son pays…Mais pas avant que l’OTAN n’ait fait le ménage en Libye
Ces propos peu consensuels envers les Occidentaux et notamment les Français sonneraient-ils une révolte des chefs d’état africains face à cette entreprise néocoloniale en Afrique qu’est la Françafrique?
Il faut rappeler qu’après avoir échoué dans son invasion de la bande d’Aozou frontalière de la Libye et du Tchad entre 1978 et 1987, Kadhafi s’était félicité de la chute de son ancien adversaire Hissène Habré en 1990 et de l’arrivée au pouvoir d’Idriss Déby. A partir de 1994, dans le cadre de sa politique d’ouverture aux pays d’Afrique noire, la Libye de Kadhafi multiplie ses aides financières, dons matériels, constructions et investissements à destination du Tchad de Déby qui, en échange lui apporte un soutien quasi-inconditionnel (on notera notamment le refus de Déby d’accorder à Kadhafi les clés du marché pétrolier tchadien déjà monopolisé par les Occidentaux). Ce soutien se vérifiera une nouvelle fois en 2011, lorsque Déby s’opposera farouchement à l’intervention en Libye annoncée par l’OTAN, envoyant peut-être même des troupes en renfort de celles dont disposait le chef d’état libyen et prédisant, en cas d’échec de ce dernier, une menace terroriste accrue dans le Sahel.
En déclarant il y a quelques jours que l’OTAN souhaitait assassiner Kadhafi, le Président Déby a fait une déclaration ambigüe. Le but de la plupart des gouvernements membres de l’OTAN n’était probablement pas d’assassiner Kadhafi, mais plutôt d’y créer une situation géopolitique favorable à leur allié dans la région, à savoir Israël. Le seul gouvernement ayant pris part au conflit de libyen pour faire taire Kadhafi semble avoir été la France de Nicolas Sarkozy, qui aurait préparé son intervention en coulisses dès 2010. Et Idriss Déby, ami de Sarkozy qui l’a à plusieurs reprises soutenu lors de tentatives de renversement, s’est bien gardé de pointer directement du doigt la France de Sarkozy dans l »assassinat’ de Kadhafi. On peut toutefois se féliciter de cette accusation lancée par Déby à l’endroit des Occidentaux, suivie par la sortie d’Issoufou, qui si elles ne sont pas la version 2.0. du discours d’indépendance de Patrice Lumumba à Léopoldville face au Roi Baudouin (le président tchadien y fait notamment référence à ses ‘amis’ occidentaux) changent des rapports de soumission malheureusement trop en vigueur chez nos chefs d’état face à leurs homologues occidentaux. Espérons que l’étau de l’opinion publique se resserre devant la question de la résolution de ce chaos libyen qui non content d’avoir suspendu l’espoir d’une souveraineté de l’Afrique en a fait autant de sa sécurité.