PORTRAIT D’EKIA BADOU : LA VOIX MUSICALE D’AFRICA N°1
Culture

Par SK 15 octobre 2014
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L’équipe de rédaction NOFI a rencontré Ekia Badou, grande voix de la radio Africa N°1 et animatrice de l’émission « AfricaSong ». Cette jeune journaliste, grand-reporter et sportive travaille depuis dix ans dans le monde des médias et de la communication mais possède aussi d’autres talents, qu’elle a accepté de nous dévoiler.
Issue de diverses cultures africaines, elle est un trait d’union entre les Afriques de par ses appartenances mais également sa passion du voyage. Au gré des pérégrinations, elle aime à partager, sur le vif, sa vision des choses.
Travailleuse acharnée, femme noire ambitieuse et complète, la douce Ekia se livre à nous sur son parcours. Un témoignage inspirant de motivation et de détermination.
« Pour moi, on peut dire plein de choses à travers la culture et de nombreux conflits ne découlent que de l’incompréhension, de la méconnaissance de l’autre.»
Par SK
Quel est ton parcours ?
Je suis journaliste de formation mais comme, à la base, je ne savais pas trop ce que je voulais faire, j’ai fait des études dans différentes filières. Je suis titulaire d’un master en Sciences Politique, et d’un master en Gestion de la Culture en Europe, que j’ai obtenu à l’IEE (Institut d’études européenne) de Paris VIII Vincennes-Saint-denis, pour me spécialiser dans l’organisation d’événements culturels internationaux.
Tu es plutôt jolie… Pourquoi avoir choisit la radio plutôt que la télévision où tu aurais pu tirer avantage de ton physique ?
Je ne sais pas. C’est bizarre pendant ma formation à l’Institut Pratique de Journaliste (IPJ), ma spécialité était « télévision ». Peut-être est-ce juste que je n’ai pas eu d’opportunités intéressantes pour l’instant.
Ça t’a déjà posé problème d’être une française noire ? T’es-tu déjà sentie complexée par rapport à ça, dans ton métier ou ailleurs?
Non ! (rires) Je suis très fière de ce que je suis. Je suis née en Bretagne et, dans le petit quartier où je vivais, j’ai grandi en étant la seule noire. À l’école de journalisme, on n’était pas non plus vraiment nombreux… Mais je n’ai jamais été complexée : je suis française.
C’est vrai qu’on m’a souvent renvoyée à mes origines, on me demandait « T’es d’où ? » et moi, je répondais sincèrement « De Bretagne ». Du coup, c’est les gens qui mon rappelé que j’étais noire.
Les complexes que j’ai pu avoir étant petite seraient peut-être dus à ma différence : « Pourquoi mes cheveux ne sont pas lisses comme mes copines? Pourquoi le vent ne les bouge pas ? »… Ce genre là. Sinon, j’ai toujours été fière de montrer ma culture africaine.
Tu te décris comme une « Afropénne ». Peux-tu nous expliquer ce concept ?
Être fière d’être française… Voilà un message auquel je n’adhère pas. Je ne suis pas « fière d’être française ». J’ai conscience d’avoir de la chance de l’être par rapport à mes parents au pays, et, de ce fait, le regard que j’ai pu avoir sur les « profiteurs» du pays a beaucoup changé.
Je m’explique : quand tu vas là-bas et que tu prends la mesure des difficultés, tu te dis que chacun essaye de se battre avec ses armes. En Afrique, beaucoup sont surdiplômés mais touchent des salaires d’à peine 100 euros par mois… Comment construire avec si peu ?
Après, il y a des choses qui me dérangent en France comme le racisme latent ou encore l’inégalité des chances à compétence égales. J’ai conscience des paradoxes de la société française, cependant, je sais aussi que je suis de France mais que je ne viens pas de France. Je viens du continent africain et là-bas, bien que je sois très fière et fasse tous les efforts pour m’intégrer, on me fait bien comprendre que je ne suis pas du coin.
Donc je ne peux pas faire semblant de tout comprendre, notamment vis-à-vis du regard qu’eux-mêmes portent sur moi.
Le nom que tu utilises, c’est un clin d’œil à la chanteuse Erika Badu ?
Pas du tout ! C’est mon vrai nom, celui de mon père, de mon arrière–grand père etc… Avant qu’Erika Badu ait une carrière, j’étais déjà née. Badou est un nom Ashanti du Ghana, qu’on retrouve aussi chez le peuple Akan de Côte d’Ivoire. Rien n’à voir avec la chanteuse que j’aime beaucoup, au demeurant. (rires)
Au départ, tu voulais travailler pour des organismes diplomatiques… Pourquoi avoir choisi la culture, finalement ?
Parce que j’en suis une amoureuse. De la culture, je veux dire ! J’ai fait du théâtre et je chante dans une chorale depuis dix ans alors je me suis dit que j’allais me spécialiser dedans et, aussi, traiter de sujets de société.
Le problème avec le journalisme politique, c’est que quand tu travailles pour une rédaction, tu dois toujours suivre la ligne éditoriale de l’organe et que, donc, c’est difficile de s’exprimer vraiment… Ce qui fait que je ne traite plus de sujets politiques depuis un moment. Le dernier, c’était pour les élections américaines et j’interviewais des afro-américains qui ne votaient pas pour Obama !
Penses-tu que la culture soit une clé de lecture des civilisations ?
Pour moi, on peut dire plein de choses à travers la culture et de nombreux conflits ne découlent que de l’incompréhension, de la méconnaissance de l’autre. Donc, je pense que la culture peut aider à réellement voir l’autre, parce qu’elle est un tout : si untel n’aime pas le théâtre, il a toujours l’embarras du choix entre la musique, le cinéma, la photographie ou la danse, entre autre…
Et comment en es-tu venue à aussi offrir tes services dans le milieu sportif ?
En fait, j’ai failli travailler dans le milieu du football grâce à mon cousin qui est en équipe de France. Bien sûr, j’aime le sport… Ce qui m’a d’ailleurs poussée à faire du journalisme sportif pour France Ô.
En ce moment, j’ai, entre autres choses, des missions ponctuelles dans le milieu du basketball, à la suite d’une recommandation de l’une de mes amies et créatrices préférées, Kate Mack. C’est elle qui m’a mis en relation avec certaines basketteuses qui recherchaient une attachée de presse, mon profil et mon réseau correspondaient à leurs besoins.
Je connais bien les règles de basket parce que j’en ai fait pendant quelques années étant ado. À l’âge de 12 ans, je mesurais déjà 1m70 et ça m’a beaucoup frustrée parce que j’étais pivot à cause de ma grande taille alors que je voulais jouer ailière… Agacée, j’ai donc arrêté pour faire de l’athlétisme.
En tant que globetrotteuse, comment réussit-on à concilier l’amour du voyage et des cultures et son travail ?
Je me suis auto-proclamée grand-reporter. (sourire) En fait, l’astuce est plutôt évidente : avant de voyager, j’appelle les différents médias susceptibles d’être intéressés par mon travail et leur propose des sujets. Donc, je travaille en voyageant ou voyage en travaillant, si tu veux.
On ne va pas se mentir : c’est clair qu’il faut avoir du toupet pour arriver à concilier les deux, donc il faut surtout ne pas hésiter mais rester quand même prudent lorsqu’il s’agit d’aller dans des endroits ou communautés auxquels on n’a pas facilement accès.
Depuis que j’ai commencé, je me suis retrouvée à faire des grands reportages pour Slate, la Radio Suisse Romande, RFI, France 24 et l’AITV. C’est toujours un risque, parce que je prends en charge mes séjours à mes propres frais et que je ne suis remboursée qu’en fonction de ce que je « vends »mais le jeu en vaut vraiment la chandelle : j’ai été fière de participer à l’émission « Et pourtant elle tourne » sur France Inter qui aujourd’hui, malheureusement, n’existe plus.
As-tu déjà rencontré des situations difficiles lors de tes voyages ?
Oui. Notamment pendant mon séjour à Israël, alors que je travaillais pour l’ambassade. Pendant ce séjour, il y avait une sorte de « chasse » aux africains. Les pauvres sont privés de tout là-bas, surtout les Soudanais et les Érythréens : n’étant pas en règles, ils ne peuvent pas travailler et ils vivent, pour certains, uniquement de la générosité des bénévoles. Ce sont des gens complètement paumés, surtout parce qu’ils ne parlent pas toujours anglais et donc peinent à communiquer.
Je me souviens qu’à l’époque, deux d’entre eux (sur à l’époque 80 000 demandeurs d’asiles) avaient violé deux filles israéliennes. Tous ceux qui avaient de la haine contre les noirs se sont servit de ce sordide épisode comme prétexte pour laisser éclater leur rejet de l’immigration non juive et réaffirmer leur nationalisme.
Donc, me retrouver là-bas à ce moment-là, c’était bizarre. Quand on voit mon visage, on ne sait pas vraiment de quelle origine je peux être donc on me prenait tantôt pour une éthiopienne, tantôt pour une juive américaine et, parfois, on me laissait tranquille mais d’autres fois on me dévisageait en me prenant pour une « indésirable » Soudanaise.
Cependant, il n’y a pas eu que du négatif à ce contact : j’ai énormément apprécié le rapport franc qu’on peut avoir là-bas avec les gens. C’est un peuple très terre à terre, très différent de la communauté juive de France. Sur place, chacun doit travailler dur et n’a pas beaucoup de temps à consacrer aux faux problèmes. Une fois qu’ils t’ouvrent la porte, tu es comme des leurs. Je ne peux pas compter le nombre de Shabbat, Bar-mitsvas ou Pessah auxquels j’ai été invitée !
Parlons de ton travail. Comment s’est fait le recrutement chez Africa N°1 ?
Il y a eu beaucoup de hasard dans ma vie mais il y a, aussi, le facteur chance et surtout le facteur travail : je travaille correctement alors on me recommande, on parle de moi, et ça aide.
C’est l’animatrice Eugénie Diecky qui m’avait repérée, une très grande dame avec une voix extraordinaire… Et depuis AfricaN°1m’a toujours fait confiance.
Ça fait quand même dix ans que je collabore donc, j’ai mis sur pied un portfolio tel que j’ai pu arriver là-bas en me présentant spontanément, sans recommandation particulière.
L’année dernière, j’avais travaillé comme attachée de presse pour des artistes et des sportifs mais le mois d’août s’annonçait calme et j’ai donc contacté des médias pour lesquels je faisais des piges pour leur proposer mes services… Africa N°1 cherchait justement quelqu’un pour remplacer Aissa Thiam alors enceinte.
J’ai été retenue parmi plusieurs autres candidats et, logiquement, obtenu le poste. Le directeur d’antenne a aimé mon travail, mon naturel et mes sourires à l’antenne et vu que Robert Brazza devait s’absenter quelques mois, on m’a proposé d’animer « AfricaSong ».
Quels rapports entretiens-tu, justement, avec Robert Brazza depuis que tu as reprit son émission ?
Houla ! J’appréhendais beaucoup parce que je ne suis pas lui et que je n’ai évidemment pas son expérience car lui, c’est une encyclopédie de la musique, mais il n’y a aucune animosité entre nous. J’ai remplacé quelqu’un dont je ne connaissais pas vraiment le travail et que, donc, je ne pouvais pas copier. Dieu merci parce que je n’aurai pas pu !
Il m’envoyait des textos d’encouragement et de félicitations lors de certaines émissions et ça m’a beaucoup flattée. J’ai été très touchée du retour que Robert m’a fait après l’émission des 80 ans de Manu Dibango : il m’a félicité et m’a dit que j’avais « assuré au-delà de ses espérances » , tout en « trouvant mon style », et qu’il avait prit plaisir à m’écouter car, selon lui, j’avais donné une belle touche de fraicheur à l’émission.
Et ça se passe bien, depuis ?
Africa N°1, c’est très particulier parce qu’on a chacun nos émissions et donc qu’on ne se croise ou on ne communique pas tous les jours. Quelques fois, certains préfèrent ne pas recevoir les artistes le même jour ou le contraire, lancer des opérations communes. Sinon, on est très autonomes.
J’avais, d’emblée, une grosse pression sur les épaules. Je me disais tout le temps « pourvu que ce que je fais plaise »… Et, d’après les retours, il y a des satisfaits…et aussi ceux qui n’aimeront jamais mes propositions ! On ne peut pas plaire à tout le monde.
Lors de mes débuts à l’antenne, Robert m’a donné des conseils parce qu’il avait entendu que je me faisais parfois « bouffer ». Les gens qui m’écoutent ne me voient pas et quand ils me voient, ils se disent que je suis jeune et donc qu’ils peuvent m’écraser. J’ai eu droit quelques fois à du manque de respect misogyne de la part d’auditeurs ou d’invités. Au départ, j’étais très accueillante et je le suis toujours parce que c’est ma nature mais j’ai aussi appris à être plus distante, plus froide, pour éviter les dérapages.
Comment se prépare une édition d’« AfricaSong » ?
Je prépare, produit et la réalise seule. Je réponds également au téléphone lorsque les gens appellent en direct. C’est énormément de travail mais quand on m’a proposé de le faire, j’étais tellement enchantée que j’ai dit « oui ! »… C’est seulement quand j’ai commencé à travailler concrètementque que je me suis dit « Mon Dieu ! ».(rires)
Etant très sollicitée, j’essaie de m’intéresser à l’actualité pour concilier mes goûts avec ceux des auditeurs. J’aime aussi donner la parole à des artistes peu connus. Il y a, bien sûr, des têtes d’affiche… ceux qu’on aime et dont on veut avoir des nouvelles… Et puis les autres, un peu plus dans l’ombre.
Pour moi, ne pas être célèbre ne signifie pas qu’on n’a pas de talent : beaucoup méritent d’être entendus parce qu’ils ont un vrai message et font des choses originales. Au début, on me disait de faire attention à la programmation parce que je faisais passer beaucoup d’inconnus. J’ai donc intégré cela et, aujourd’hui, ce que je fais est un mélange de plusieurs choses : ce à quoi les auditeurs sont habitués et aussi ma touche personnelle.
Pour toi, ce job c’est une consécration ?
Je ne sais pas… Je ne me prends pas au sérieux donc je ne me dis pas que c’est la consécration mais plutôt, que chaque chose en son temps.
Raconte-nous une anecdote à Africa N°1.
Une fois, ça été le grand sketch parce je recevais un artiste que je croyais être centrafricain pur jus alors qu’il était blanc ! Alors, quand j’arrive à l’accueil et que je vois un blanc américain me souriant, je pense tout de suite qu’il attend quelqu’un d’autre. Alors que c’était lui !
En fait, l’artiste en question est né en Centrafrique d’un père franco-centrafricain et d’une mère belgo-américaine : donc, il est techniquement Africain mais quand tu le vois, tu te dis que c’est pas possible ! Il est blanc porcelaine mais il parle un Sango* impeccable ! Et moi qui m’attendais à un noir. Imaginez ma tête !
Je n’étais d’ailleurs pas la seule parce que des auditeurs ont appelé pendant l’émission et m’ont dit qu’ils avaient fait la même confusion à Bamako où il a séjourné. C’était très drôle !
Un conseil pour ceux et celles qui aimeraient se lancer dans le journalisme ?
D’abord, beaucoup travailler car certains arrivent comme ça, en comptant sur la discrimination positive : il faut toujours connaître son sujet, savoir là où l’on va et comment se comporter sur place parce que souvent, si on n’a pas « les codes », ça ne marche pas. Le travail fini toujours par payer et donner une bonne réputation.
L’intelligence, c’est aussi le rapport humain : aucune rédaction n’est la même ! Dans le journalisme, on est nombreux mais il y a de la place pour tout le monde, des choses à couvrir dans tous les domaines.
Tout a beaucoup changé depuis mes débuts : avant c’était un milieu « consanguin » qui manquait cruellement de diversité et où bon nombre de journalistes se limitaient aux dépêches AFP sans vraiment creuser… Donc c’est super qu’aujourd’hui, il y ait plus de gens issus de différentes catégories sociales et ethniques.
Quelle est ton actualité ?
Je suis sur l’antenne d’Africa N°1 avec Manu Dibango tous les dimanches ! On anime une émission ensemble. Au début, quand Robert est tombé malade, il ne me connaissait pas mais en écoutant ce que je faisais il a apprit à aimer et m’a donné ma chance.
Travailler avec lui, ça fait plaisir et c’est hyper intéressant : la première heure s’appelle « Way Back » et, en gros, est un moment où il parle de disques vieux de 50 voire même 60 ans… C’est clair que j’en connais maximum un sur trois, donc j’apprends énormément ! Manu possède une mémoire extraordinaire et peut vous raconter un souvenir avec tous ses détails croustillants… Et on rigole beaucoup parce que quand c’est mon tour, je lui parle d’artistes qu’il ne connaît pas toujours… Donc pour lui, c’est parfois carrément un sur cinq. C’est un échange intergénérationnel !
J’ai d’autres plans prévus dès le mois de septembre, surtout dans la communication où je fais des missions en tant qu’attachée de presse pour plusieurs artistes et sportifs : je suis déjà consultante en communication et aussi attachée de presse pour des basketteurs mais pas à temps plein parce que l’animation m’occupe énormément.
Là, comme l’émission s’arrête pendant l’été, je vais pouvoir aller au Gabon dans un camp de basket dont Nicolas Batum est le parrain avec l’association Yemaly, de Géraldine Robert.
*Langue de la RCA